
Alors qu’il purge une peine de cinq ans pour un crime violent, un garçon de 12 ans poursuit ses parents pour négligence.
2018
I
Nadine Labaki
I
126 min

8.4/10

90%

75/100
Plongée dans le chaos : l’univers de « Capharnaüm »
Un film à la fois puissant et poignant, « Capharnaüm » nous entraîne dans les dédales de la misère urbaine avec une force rare. Plus qu’une simple fresque sociale, il saisit l’humanité en plein tumulte, dévoilant la fragile lumière qui tente de percer sous les décombres.
Une genèse d’urgence et de vérité
Derrière « Capharnaüm », il y a Nadine Labaki, réalisatrice libanaise dont l’inspiration jaillit d’une colère profonde face aux injustices sociales. Le film, en grande partie autobiographique dans sa sensibilité, a germé à partir d’une rencontre marquante avec un enfant des rues de Beyrouth. Ce premier souffle a donné naissance à une œuvre qui ne cherche pas à calmer les tourments, mais à les exposer sans fard. Les acteurs, pour la majorité non professionnels, ont été choisis avec soin parmi les véritables marginaux, avec pour objectif de transcender la fiction. Cette démarche immersive et instinctive confère au long-métrage une vérité palpable, presque documentaire. La caméra de Labaki épouse le rythme des vies brisées, saisit les détails du quotidien avec une empathie brute, en composant un tableau vivant où le chaos urbain devient personnage à part entière.
Une narration entre douleur brute et lumière d’espoir
« Capharnaüm » n’est pas seulement une plainte muette ; c’est une ode à la résilience et à l’indomptable volonté de survivre. Le film s’ouvre sur un procès inattendu — celui d’un enfant qui poursuit ses parents — capte immédiatement le spectateur dans son implacable réseau narratif. Cette structure, telle une métaphore judiciaire de la société, dénonce sans commenter, laissant l’image et les silences porter tout le poids de la dénonciation. La mise en scène alterne entre les souffles d’inhumanité et les fragments de tendresse trouvés dans les recoins de l’exil urbain. Le regard de l’enfant Zain, incarné avec une intensité quasi mystique par Zain Al Rafeea, devient le prisme qui déforme et magnifie la réalité, capturant la douleur et l’espoir avec une netteté déchirante.
Derrière la caméra : secrets et anecdotes d’un tournage hors norme
Le décor du film, loin d’être un simple cadre, est un terrain de jeu et de survie où la réalité et la fiction s’entrelacent. Chaque étape de la production révèle des défis et des choix artistiques qui enrichissent la profonde authenticité de l’œuvre.
La magie des non-professionnels et des lieux réels
Nadine Labaki a pris le pari audacieux de travailler avec des enfants non professionnels, souvent issus des milieux précaires qu’elle dépeint. Cette décision créatrice a nécessité une direction d’acteurs peu conventionnelle, privilégiant l’improvisation et l’authenticité des émotions sur l’artifice du jeu traditionnel. L’un des moments les plus émouvants du tournage fut la demande d’aide à une véritable famille rom qui a accueilli toute l’équipe, brouillant ainsi la frontière entre vie et fiction. De surcroît, le choix des décors naturels dans les quartiers densément peuplés de Beyrouth apporte une densité sensorielle, où les murs portent les traces du passé et les voix résonnent de mille histoires silencieuses. Ces regards crus et ces gestes pris sur le vif créent un univers tactile, presque palpable à travers l’écran.
Anecdotes méconnues et impact inattendu
Rarement un film aura provoqué un tel écho émotionnel, surtout en connaissant les difficultés rencontrées lors du tournage. Le jeune Zain Al Rafeea, héros et âme de « Capharnaüm », était réfugié syrien sans expérience d’acteur quand il a été découvert par l’équipe. Sa propre vie tragique donne au film une puissance inouïe, lui conférant une profondeur où fiction et réalité se fondent. L’accueil critique et public fut si fort que le film a transcendé les cercles cinéphiles pour influencer des débats politiques et humanitaires sur la condition des enfants réfugiés. En particulier, le film a aidé certaines familles à obtenir des aides et une reconnaissance, illustrant l’art comme levier de changement social. Au-delà des récompenses prestigieuses, « Capharnaüm » se révèle ainsi un manifeste vibrant, une ode bouleversante à la survie et à l’espoir qui s’accrochent malgré tout.
